Entrepreneure et avocate engagée, Thaima Samman, fondatrice du cabinet Samman et présidente de l’Association des avocats-conseils en affaires publiques, nous offre un regard éclairé sur le milieu juridique des affaires publiques français, européen et américain.
Pouvez-vous nous en dire plus sur l’activité d’avocat-conseil en affaires publiques ?
L’éclairage et l’expertise particuliers de l’avocat dans le champ des affaires publiques, en tant que conseil mais aussi dans la mise en œuvre des stratégies de nos clients sont clairement une valeur ajoutée. Nous sommes capables d’appréhender et de démontrer les enjeux dans le cadre de l’élaboration de la norme, de faire entendre une position, un intérêt, une expertise ou un point de vue, auprès des autorités publiques. Nous analysons les enjeux, cartographions les personnes ou instances décisionnaires, éclairons les discussions dans une recherche permanente de la meilleure approche et si possible d’un dialogue constructif avec les parties prenantes publiques. Nous sommes des avocats avec une expertise particulière et nous nous différencions des lobbyistes et consultants en affaires publiques classiques, par la dimension juridique, la méthodologie et les règles de déontologie qui nous sont propres.
En France, le métier d’avocat en affaires publiques est encore assez récent, mais monte en puissance sous l’influence de grands cabinets internationaux, notamment anglo-saxons. Au quotidien, c’est un métier exigeant, qui demande à la fois une parfaite connaissance de l’environnement et de la dynamique institutionnelle, des procédures décisionnelles et normatives, la capacité de comprendre les positions en présence et à identifier la meilleure approche de dialogue et de discussion, mais aussi bien sûr, une compréhension fine des problématiques et marges de manœuvre juridiques. Nous jouons également un rôle d’interface entre les décideurs et les opérateurs, un facilitateur de dialogue. Notre qualité d’avocat nous permet d’agir de manière efficiente sur la rédaction de la norme ; notre connaissance et notre expérience des arcanes du pouvoir nous donnent une légitimité et une efficacité supplémentaires dans cette mission.
Comment se positionne la France en Europe en termes de conduite des affaires publiques ?
La France est encore assez en retard, si on la compare à Bruxelles ou Washington ou même Londres, Berlin ou Francfort. Les raisons sont liées à l’histoire et la tradition institutionnelles et politiques françaises de centralisation des pouvoirs politiques, administratifs mais aussi économiques autour de l’administration centrale. Chez nos voisins, la conduite des affaires publiques est beaucoup plus diversifiée, la parole accordée aux acteurs économiques et leur recours à des experts des enjeux administratifs et politiques font depuis longtemps partie intégrante des procédures de prise de décision, ce qui a permis depuis plusieurs décennies une montée en compétence et le développement de métiers extrêmement sophistiqués du dialogue public-privé, du plaidoyer légale et réglementaire et des affaires publiques.
La France a commencé à développer sa propre approche dans ses domaines. Intégrer les parties prenantes économiques dans la dynamique de l’élaboration de la norme n’est plus tabou. C’est une bonne chose pour la pertinence et l’efficacité de l’encadrement juridique et réglementaire et j’espère que cela va s’intensifier. Nous avons beaucoup d’atouts pour être des grands dans ce domaine. Nous avons appris dès le lycée à raisonner et penser la complexité et nous avons commencé à développer des formations de très bon niveau sur cette matière, même si la pratique et l’expérience sont essentielles dans ce métier.
D’ailleurs, comment rendre le domaine des affaires publiques attrayant pour les jeunes avocats ?
Il faut sans doute mieux communiquer sur les perspectives, l’intérêt (notamment intellectuel) et le sens (y compris politique) de ce métier encore trop peu connu dans leur cursus. À l’heure actuelle, les masters spécialisés en droit, notamment international ou des affaires restent la voie privilégiée pour intégrer le monde des affaires publiques mais, l’ENS Droit/Eco, Science Po, le Collège de l’Europe… sont autant de formations de très grande qualité pour préparer ou compléter la formation initiale de l’avocat à ce métier. C’est aussi aux professionnels que nous sommes de nous investir pour améliorer cette attractivité auprès des jeunes talents. Et n’oublions pas les juristes qui viennent de la sphère publique à qui il faudrait faciliter l’accès au barreau. Nombre d’entre eux ont écrit les lois et règlements que les avocats interprètent, nous faisons partie de la même famille. La diversité des parcours des parties prenantes de l’élaboration de la norme ne peut là encore, qu’en enrichir la qualité et l’efficacité.
En 2001, vous créez le réseau européen WIL (European Network for Women in Leadership). Quelles ont été vos motivations alors, et quels sont aujourd’hui vos objectifs ?
Le but du réseau est multiple : promouvoir le leadership des femmes, construire des réflexes de solidarité entre ces femmes, élargir nos horizons pour acquérir la vision 360 du monde dont tout bon dirigeant a besoin pour y naviguer… Nous voulions aussi rendre les femmes plus visibles. Une des raisons du plafond de verre est lié au fait que ceux qui décident des carrières ne les voient pas forcément parce qu’entre une activité professionnelle prenante et une famille, les femmes de talents ont tendance à négliger le faire-savoir de leur savoir-faire ! Nous avons créé ce club pour l’instant exclusivement féminin (mais qui accueillent régulièrement les hommes amis avec plaisir), inspiré des clubs parisiens ou londoniens, eux très largement masculins, afin d’offrir un cadre de rencontres, d’intelligence et d’opportunités pour ces femmes dirigeantes dans 24 pays européens.
Nous y avons également développé des programmes de talents. Il nous semblait aussi important de transmettre à celles qui aspirent à des parcours d’excellence ou qui pourraient y prétendre mais n’osent pas. Partager nos expériences, leur donner confiance, les aider à aller plus vite mais aussi apprendre d’elles nous semblaient tout autant important et cohérent avec le réseau.
A propos de Thaima Samman
Associée fondatrice du cabinet Samman, Thaima Samman commence sa carrière en co-fondant l’association SOS Racisme. Elle fait ses armes chez August Debouzy où elle développe le pôle Corporate Affairs, avant de prendre la tête du département Communication, Affaires Publiques et Réglementaires au sein de la Direction de Philip Morris France. En 2003, Thaima rejoint la direction de Microsoft France et prend en charge le département Juridique/Affaires Publiques. Elle est ensuite promue Associate General Counsel au sein de Microsoft International et couvre la zone Europe-Moyen-Orient-Afrique avec son équipe.
Co-fondatrice de l’European Network for Women in Leadership (WIL), Thaima est également membre du Comité Stratégique de Women Equity Partners, un fond de private equity qui finance des entreprises de croissance dirigées ou co-dirigées par des femmes et a été membre du Conseil de Surveillance de l’entreprise de jeux vidéo Focus Interactive. Elle est Chevalier de l’Ordre National de la Légion d’Honneur et Chevalier de l’Ordre National du Mérite. Forte de son expérience, Thaima a créé le cabinet Samman pour offrir une vision innovante du métier d’avocat en proposant une expertise combinée dans les sphères des affaires publiques, des relations institutionnelles et du droit à Paris et à Bruxelles.
Source : Wilo.blog